jeudi 7 février 2013

Caminando por el Mantaro : Huancayo - Jauja

On sèche le vendredi, et c’est parti pour un voyage de 3 jours avec une amie (celle qui, comme moi, n’a pas d’appareil photo !). Notre plan : rejoindre Huancayo, ville de la Cordillère Centrale à 3200m d’altitude, puis de là, rejoindre la Reserva Paisajistica Nor Yauyos-Cochas. Le manque de transport public et notre matériel de camping pas vraiment adapté aux températures andines nous feront changer d’itinéraire, mais ce fut l’occasion de passer du temps dans le nord de la vallée du Mantaro entre Huancayo et Jauja, petit village colonial de 25000 habitants, l’une des premières villes fondées par les conquistadores.

Arrivés à Huancayo, on se dirige vers le village de Chupaca, connu pour son marché aux bestiaux, mais nous arrivons deux jours trop tôt. On continue jusqu’à un virage d’où l’on peut marcher jusqu’à la lagune Ñahuimpuquio. Le sac à dos nous pèse un peu à cette altitude, mais les chemins sont magnifiques, on passe au milieu d’un petit hameau en pleine campagne, d’une cour d’école sans murs, on n’entend que la végétation, les oiseaux et les ânes, parfois quelques rires et très rarement un 4x4 sur les pistes non asphaltées proches. Ah, j’oubliais… nos poumons aussi !

Arrivés à la lagune, après s’être reposés à l’ombre au bord de l’eau et avoir pris le temps de profiter du climat délicieux et du paysage, nous voici au moment tant attendu, celui de passer à table ! Aujourd’hui, on mange en plein air, chez le propriétaire (un couple de petits vieux adorables). Au menu : dégustation de truites frites et en ceviche, accompagnées d’une Chicha de Jora offerte dans un pichet et des verres en terre : le meilleur de la gastronomie andine, directement chez le producteur. Un vrai délice ! La chicha de jora (qui n’a rien à voir avec la chicha morada de Lima), appelée bière des Incas, est la boisson traditionnelle des Andes péruviens qui s’obtient après fermentation du mais. Le goût m’a beaucoup fait penser à la bernache.
On se remet en marche et on continue en stop vers Hualhuas, petit village fameux pour sa production de lainages : tout le monde ou presque est concerné ! Puis, fatigués après une froide nuit de bus et une journée physique en moyenne altitude, on continue la route pour arriver de nuit à Jauja. Dans un petit restaurant, je me rappelle du ¼ de poulet de la jungle, une petite patte minuscule, et je demande donc un demi-poulet… Pas minuscule du tout, pas vraiment cuit non plus et plutôt gras, la digestion s’annonce sympathique ! Heureusement, le mate de coca est une valeur sûre et réparatrice qui ne nous faillit jamais en montagne. Il est 9h, les lumières sont éteintes, le village dort et nous, petits vieux de 23 ans, sommes prêts à tomber de sommeil, sommeil que je ne trouverai pas de la nuit d’ailleurs.

Le samedi, on part en direction de la Laguna de Paca. On nous dit qu’il y a des ruines sur la colline qui surplombe la lagune, mais on se retrouve vite bloqués car il n’y a pas de chemin, et il est impossible d’escalader les parois car de grosses pierres s’en détachent. Le paysage sublime compense très vite la déception de notre échec. Un autre moyen de découvrir la culture précolombienne ? Se rendre dans un restaurant et gouter la Pachamanca, un plat andin de viande, pommes de terre et légumes cuits en faisant un trou dans la terre (dans lequel on insère des pierres chaudes). De par sa méthode de préparation et de cuisson, ce plat est bien plus que de la nourriture, c’est un rite communautaire dans les Andes, et dans les quartiers de Lima peuplés par des migrants andins.  En fin d’après-midi (oui, un repas au Pérou, ça peut prendre du temps!), après être retournés à Jauja, on monte une colline pour rejoindre des ruines huancas, qu’on ne trouve pas. Après la réserve de Yauyos, le marché aux bestiaux, les ruines de la matinée, c’est vraiment le voyage des loupés. On marche entre les champs de pomme de terre, dans un paysage vraiment sublime, d’un vert intense et humide mêlé à la lumière jaune vif du soleil déclinant. On en profite pour parler un peu avec les paysans en pleine récolte, et on fait demi-tour en coupant à travers un champ pas encore récolté. C’est comme ça que par hasard, on arrive aux fameuses ruines dominant la vallée du Mantaro et Jauja. On s’adosse à la statue du christ qui a été plantée là, juste au dessus des ruines, sûrement pour montrer qui est le plus fort : on admire la ville, les maisons pour la plupart construites en adobe, la vallée et les montagnes aux alentours, et on décide de redescendre avant la tombée de la nuit pour éviter de se perdre en chemin… On regarde le soleil qui se couche de l’autre côté de la vallée, dans un ciel rose qui dégage une force incroyable : trois puissants rayons violets partent du sommet de la montagne enneigée derrière laquelle il a disparu. La vue est magnifique, et la magie du moment ne sera rompue que par un troupeau de vaches qui foncent vers la petite butte où nous sommes, cornes en avant, et qui font détaler mon amie avant même que je n’ai pu les voir venir. Grands rires des éleveurs qui les suivent, sourires un peu cons sur nos bouches, on profite encore un petit peu puis on retourne au village.

Le dimanche matin, on se lève tôt, trop tôt, pour trouver un bus à destination de Lima. Il doit être 7 ou 8 heures, mais les enfants sont déjà à défiler en uniforme du collège autour de la place, avec la fanfare, les policiers, les parents et les drapeaux. On les regarde un peu surpris, en mangeant notre pain fourré à l’omelette et au fromage, et en buvant notre jus de fruit tiède qui sera assez dur à avaler. On est presque choqués en apercevant le premier touriste depuis notre départ de Lima : cette région, malgré sa beauté et de nombreux attraits, est encore relativement délaissée car elle est le Nord de la zone qui fut le berceau du Sentier Lumineux, durant les années 1970. Le site de l’ambassade la classe encore comme ‘‘formellement déconseillée, même pour raisons professionnelles impératives’’. Aujourd’hui, la réalité est tout autre.

Le chemin du retour sera l’occasion de monter jusqu’à un col à 4818m sur la Carretera Central, de passer à côté de lacs d’altitude couleur turquoise avec en toile de fond des sommets enneigés, mais surtout de passer par La Oroya, ville symbolique car elle est l’exemple parfait de ce que l’activité minière a pu créer de misère et de désolation en Amérique Latine. La Oroya est citée parmi les 10 villes les plus polluées du monde. On sent tout de suite que la vie est rude, les industries gigantesques sont dans le fond de la vallée, au bord du Río Mantaro, et les habitations à flanc de montagne. Au dessus de nous, les minerais passent dans des bacs accrochés à une sorte de téléphérique.  Les murs sont couverts de slogans syndicaux et d’autres en faveur de la mine. De manière incroyable, l’entreprise arrive à vanter les bienfaits de cette industrie à La Oroya. La ville froide, d’un aspect métallique monstrueux, transpire la souffrance humaine et la lutte ouvrière. Bien sûr je n’ai rien vu, la pollution est invisible, les poumons complètement pourris sont à l’intérieur des mineurs et les matières toxiques restent cachées dans les veines des enfants depuis la naissance, mais cette ville représente un sombre passé : l’activité extractive polluante au plus haut degré, génératrice de conflit social et qui n’apporte aucun avantage, aucune compensation à la population locale. Plus jamais le Pérou ne doit permettre qu’une telle situation se reproduise. Aucun développement n’est possible pour l’Amérique Latine s’il se base sur un système purement extractif, comme c’est le cas à La Oroya. Le discours actuel, une certaine volonté politique et le résultat de plusieurs conflits sociaux récents semblent indiquer qu’heureusement la direction prise par le Pérou est à l’opposé de ce qui s’est fait dans cette ville, mais certaines plaies mettront du temps pour guérir complètement.

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